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Un blog qui tente de pousser l'art des miscellanées aux limites du possible : de l'écriture à la lecture, de la politique à la musique, de la critique à la galéjade, du partage à la mauvaise humeur.

Gabriel Achille Boulatigny

Bibliothèque Nationale - Denis Auguste Raffet

Bibliothèque Nationale - Denis Auguste Raffet

L’an mil huit cent onze, le trente janvier, à une heure après-midi devant nous Bonjean François délégué par monsieur le maire de Valognes pour remplir les fonctions d’officier d’état-civil de la ville de Valognes, département de la manche, il a été présenté vivant un enfant mâle né hier à cinq heures après-midi du mariage de François Boulatigny cafetier âgé de trente six ans et Sophie Françoise Mouchel son épouse âgée de trente et un an, demeurant à Valognes suivant la déclaration à nous faites par ledit François Boulatigny père de l’enfant.

Présents pour témoins Jean Gabriel Marigny XXX au cinquième régiment d'infanterie, âgé de 25 ans demeurant à Valognes et Joseph Le Gouhaitier, entrepreneur, âgé de 47 ans, demeurant à Valognes. Les prénoms donnés à l'enfant sont Gabriel Achille et ont les déclarants et témoins signé après lecture faite excepté ledit Boulatigny qui a dit ne pas savoir et a marqué pour seing "+"

J'ai trouvé la relation de l’expédition de Rome qui suit, une relation de campagne en Algérie, et ses papiers militaires, dans les archives de son frère, Joseph Sébastien Boulatignier, au château de Pise, à l’Etoile, dans le Jura. 

 

Gabriel Achille Boulatigny, grièvement bessé lors de la bataille du 23 mai 1853 devant Sébastopol pendant la guerre de Crimée, succombera quelques jours plus tard. 

 

L’affaire est décrite ainsi dans l’ouvrage de Léon Guérin[1] « Histoire de la dernière guerre de Russie » publié en 1858[2] :

« Le Colonel Guérin, avec ses officiers, ses sapeurs et ses travailleurs, était arrivé dès le commencement du feu, espérant que l’on conserverait le terrain partout où on l’aurait conquis. Sur la gauche, où il se rendit en toute hâte quand il vit que le moment n’était pas encore venu d’exécuter les travaux à droite, son attentent ne devait pas être déçue. Les gtrois compagnies du 10éme bataillon de chasseurs à pied, où se signalèrent les capitaines de Bonne et de la Chevardière de la Grandville, ainsi que l’intrépide soldat Rière, avaient les premières franchi les parapets ennemis et enlevé les logements des tirailleurs russes. Le deuxième régiment de la Légion étrangère était venu promptement  à leur aide, au moment où le rigiment Prince de Varsovie accourait, ramenant l’avant-garde russe au combat. Avec les capitaines Philippe et Rigny, et les lieutenant Tisserand et Gauchier, qui furent tués, le commandant Martnez, les capitaines Bombin, Poggi, d’Astis, l’adjudant Foester et le caporal Panetti soutinrent l’honneur de la légion. Toutefois le régiment Prince de Varsovie, quoique nouvellement arrivé de Pérékop, se comportait avec une vigueur peu commune. Ses trois premiers bataillons, appuyés par le 4éme bataillon en réserve, disputèrent pendant plus d’une heure et demi le terrain conquis par les compagnies de chasseurs à pied et par les bataillons de la légion étrangère, tour à tour repoussant et repoussés. Le valeureux bataillon du 98éme de ligne, conduit par le lieutenant Lartigue, mis fin à l’incertitude du combat. La colonne Beuretresta définitivement en possession de l’escarpement qui bordait la rive droite de la baie de la Quarantaine et des embuscades qui le couronnait.  Le colonel Guérin pu se mettre immédiatement en devoir de retourner les travaux des russes contre eux-mêmes et de les relier aux lignes françaises.

Il n’en était pas de même à l’attaque droite. Par là, le combat semblable au flux et au reflux de la mer au plus fort de la tempête, était soutenu de part et d’autre avec le plus extrême acharnement, depuis que le régiment de Podolie, par la seule supériorité du nombre, avait rejeté les compagnies d’élites du 1er de la légion étrangère contre le fossé qui reliât les embuscades du cimetière  et sur les bataillons du 28éme de ligne. En vain les capitaines Lachenal, Fischer, Delebecque, Lacour, Franzini, les lieutenants Drumel et dEspinassy de Fontanelle ranenèrent-ils à plusieurs reprises les compagnies de la légion contre l’ennemi qui les enfonçait la baïonnette dans le ventre. Le régiment de Podolie les rejetta presque entièrement  des retranchements russes dont le capitaine Roullier faisait déjà remuer les terres. Les officiers du génie furent obligés de mettre l’épée à la main, les sapeurs et les travailleurs de quitter la pelle et la pioche pour le fusil. Le jeune capitaine Vaullegeard, officier du plus bel avenir, fut tué en ce moment.

Cependant, dépéchés par le général de La Motterouge, les deux bataillons du 28éme de ligne rétablirent le combat. Le commandant Trilhard, grièvement blessé, les capiatines Journé, Fontan, les lieutenants Staslin, Pouzols, Drouard, tous cinq mortellement atteints, les capitaine de Saint-Priest et Chapsal, le sergent Glatigny et le voltigeur Nau se signalèrent dans cette action. La défaite du régiment de Podolie semblait assurée, quand les bataillons du régiment de Jitomir et d’autres en réserve, sortant incessamment, avec de grands hourras, du ravin de la Quarantaine où ils étaient massés, vinrent relever les affaires de l’ennemi. Les français se virent encore rejetés des retranchements russes et même un moment poursuivis jusqu’à leurs propres lignes par les bataillons de Jitomir, qui du reste furent immédiatement obligés de se retirer en désordre devant une première charge de la réserve.

 

Il y eut alors un court temps d’arrêt, dont les deux parties profitèrent pour se reformer et se remettre en position. Il n’était pas encore dix heures du soir. Cette fois, non seulement le bataillon du 18éme de ligne, commandant de Cargoët, mais encore les principales réserves de la colonne de La Motterouge, c’est à dire deux et bientôt quatre bataillons des voltigeurs de la garde, conduits par les colonel le lieutenants-colonels de Marolles, Douay, Mongin, par les commandant Boulatigny, d’Anthès, Farine, Grémion, et une élite de braves officiers, s’avancèrent contre l’aile gauche des russes qui venaient de leur côté de recevoir le considérable renfort des régiments de Minsk et d’Outglitz, bientôt soutenus eux-mêmes par d’autres bataillons. La lutte se renouvella d’abord avec deux des bataillons de la garde, au bruit des hourras des russes, des décharges précipitées de la mousqueterie, et des détonnations de sept à huit cents pièces de canons. C’était une véritable bataille à laquelle avait pris part successivement ou à la fois plus de vingt bataillons russes. La clarté d’abord vive de la lune était complètement obscurcie par les nuées rougeâtres de fumée et de poudre qui s’avancaient les unes contre les autres, dégageant à la fois mille et mille foudres épouvantables. La lutte fut terrible et corps à corps ; les épées mêmes des officiers supérieurs furent ébréchées, tordues dans le choc[3] ; il y eu surtout un combat effroyable à l’arme blanche entre un des bataillons de la garde et le régiment d’Ouglitz, qui tenait à insigne honneur de le vaincre, même avec des forces de beaucoup supérieures. Les voltigeurs de la garde payèrent d’un torrent de sang généreux leur bienvenue. Le commandant d’Anthès fut mortellement atteint en donnant aux siens l’exemple du courage. Le lieutenant-colonel Boulatigny, qui avait voulu partager les périls de ses anciens camarades et remplir encore à leur tête les fonctions de chef de bataillon, reçu deux horribles blessures, en se battant comme un lion ; un bras amputé, une jambe et la hanche labourées, il survécut encore quelques temps. Jeune pour le rang qu’il occupait, d’un cœur loyal et héroïque, doué de rares facultés sous une grande sobriété de forme et de paroles, il était appelé à un brillant avenir, quand il fut mortellement frappé. »

 

Dans une note, Léon Guérin commente « Le colonel Boulatigny était le frère de M. Boulatignier, Conseiller d’État, bien qu’il eût pris l’habitude d’écrire la terminaison de son nom autrement que lui. Dans les trop peu nombreux papiers de famille qui nous sont revenus de Crimée, nous trouvons la lettre suivante, en date du 18 mai 1853, adressée de Paris par M. Boulatignier au colonel Guérin, qui ne la reçut que plusieurs jours après les événements du 22-23 mai. :

 

« Mon cher camarade, il ne peut rien t’arriver d’heureux sans que j’en éprouve une satisfaction réelle. Ce matin, c’est les larmes aux yeux que je lis dans le rapport du général Canrobert le récit de ta belle conduite (affaire du 1er au 2 mai), et que je vois ton nom mis à l’ordre de l’armée. Je ne puis résister au besoin se te dire mon émotion, et de t’assurer que nos cœurs te suivent dans cette lutte où vous soutenez si dignement l’honneur de nos armes. Je voudrais pouvoir t’embrasser. J’ai un jeune frère qui vient d’être nommé lieutenant-colonel du 19éme régiment de ligne ; si tu le rencontres, donnez-vous la main sous mes auspices et en souvenir de moi ; vous êtes faits pour vous estimer et vous apprécier tous les deux. Tu as sous tes ordres le lieutenant Vaullegeard, à la carrière duquel j’ai un peu présidé ; c’est un brave jeune homme, attaché à ses devoirs, plein d’honneur, d’une âme un peu susceptible ; je prends la liberté de le recommander à ta bienveillance. Adieu, mon cher Guérin, reçois avec mes félicitations cordiales l’assurance et mon vieil et constant attachement. Que Dieu te conserve à ta famille, à tes amis, à ton pays dont tu es un des plus vaillants enfants ! »

 

En écrivant ces lignes, le 19 mai, M. Boulatignier ne pouvait croire que le frère dont il me parlait et le jeune officier qu’il me recommandait seraient mortellement atteints avant que sa lettre fût parvenue au colonel Guérin qui, le 9 juin, dernier jour où il écrivit lui-même à ses amis, à sa famille, lui fit cette réponse :

 

« Mon cher Boulatignier, je te remercie de ton bon souvenir. Malheureusement chacun de nos petits succès nous coûte bien des braves gens. Dans les affaires des 22 et 23 mai, sur la gauche des attaques de la ville, ton frère dont je me hâte de te dire que l’état est aussi satisfaisant que possible, a reçu deux blessures graves dont l’une a nécessité l’amputation du bras gauche. Allant visiter l’ambulance l’avant-veille du jour où j’ai reçu ta lettre, j’y avais serré la main au colonel Boulatigny sans savoir qu’il fût ton frère, à cause de l’orthographe différente de son nom. Je suis allé de nouveau le voir ce soir, et j’ai des nouvelles rassurantes à te donner de lui. Le médecin, que je connais particulièrement, considère la cicatrisation du bras comme tout à fait assurée et prochaine. La blessure de la jambe, qui n’a point exigé d’opération, sera d’une guérison plus lente à cause des faisceaux nerveux qui ont été lésés. Il est bien triste de n’avoir à répondre à la lettre que tu m’adresses pour me complimenter que par de mauvaise nouvelles. Le brave jeune homme (M. Vaullegeard) que tu me recommandes et que j’avais contribué à faire nommer capitaine, pour le récompenser du dévouement et du courage dont il avait déjà donné tant de preuves, a été mortellement frappé dans la nuit du 22 au 23 mai. Il n’est point le premier de nos pauvres camarades du génie dont la carrière ait été arrêtée au moment où elle semblait se montrer plus brillante… »

 

[1] Léon Guérin, né à Vitry-le-François (Marne) le 21 mai 1841, décédé à Paris le 21 octobre 1901, est un homme politique de la Manche, militaire de profession. Il est le fils du général Achille Guérin dont il est fait état dans ce récit. Il choisit d'abord la carrière des armes comme engagé volontaire en 1860. Il est nommé capitaine au choix en 1873 et promu chef de bataillon en 1885. Il est élu député de la circonscription de Valognes le 20 août 1893 et réélu le 8 mai 1898. Il y siège jusqu'à sa mort. Il a été maire de Teurthéville-Bocage de 1893 à 1896. Il était alors lieutenant-colonel.

[2] Histoire de la dernière guerre de Russie (1853-1856) par Léon Guérin, historien de la marine. Paris. Dufour, Mulat et Boulanger, Editeurs.

[3] C’est en cet état que l’épée du lieutenant-colonel Boulatigny fut renvoyée à son frère.

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